Le Breton L'épreuve et le sacré

La quête du sens

"thème initiatique traduit pour nos sociétés à structure individualiste une quête obstinée et solitaire de sens menée par les acteurs."

"La maladie, la mort, l'accident, le deuil, le risque sont sources de valeur parce qu'en rappelant la précarité des choses, "l'insoutenable légèreté de l'être" (Milan Kundera), ils confèrent à l’existence un prix inappréciable."

"La sécurité montre là son revers dans nos sociétés occidentales, le welfare State est débordé par un désir secret d'effroi où la signification de la vie peut reprendre de son ascendant."

"Côtoiement de la mort contre son gré ou de propos délibéré, homme se recentre sur les valeurs que dégage la vie, il se remémore ce qu'il avait souvent oublié, que la vie n'a pas de prix. En face du signifiant maître grandit la combativité de l'homme éprouvé et renaît le goût de vivre."

"ouverture au monde / découverte intime, à la faveur de l'épreuve, d'un gisement insoupçonné de sens qui éclaire l'existence sous un jour nouveau"

"foyer des significations et des valeurs à partir duquel l'espace social puise son énergie / L'individu est le donneur de sens, pris dans une relation de bricolage avec les systèmes symboliques qui régissent sa communauté d'appartenance / La transformation du malheur en chance, ou celle du risque en exaltation, est l'épreuve contenue dans l'épreuve. La sacré ne va pas sans l'approche du danger de mort pour celui qui veut se l'associer"


Fabriquer du sacré avec l'épreuve

"dépend des acteurs et de leur histoire personnelle / la passion de l'extrême ou du risque, la transformation de la souffrance ou de l'approche de la mort en défi à relever témoignent d'une résurgence du sacré, sous une forme en partie inédite, libérée de son administration par les grands systèmes religieux"

"sentiment d'une transcendance personnelle lorsqu'il vit l'évènement / sacré sauvage et intime à travers l'exposition de soi à un effort intense ou à un risque tangible qui culmine dans l'ordalie"

"Fascination du Tout-Autre (Rudolf Otto), jubilation de connaître des moments "saturés d'être" (Mircea Eliade), mais coupées de toute référence religieuse ou ésotérique, strictement intimes dans leur choix et leur résonance"

"Georges Balandier : "Avec la modernité, ce qui est nouveau c'est la grande mobilité du sacré, la diversité changeante des objets dans lesquels il se trouve investi, ses métamorphoses associées à la multiplication des expériences subjectives ; libéré, il retrouverait alors pour une part ce qui était à son commencement : sa qualité d'énergie issue de l'exubérance d'une vie collective non encore endiguée et portée à la recherche de son sens"

"sacré, sorte de matière première à apprivoiser, libre, dont le ressort peut changer l'acteur d'un sentiment diffus de plénitude, d'exaltation / goût de transcendance, de perfection / sacré est une valeur et une projection individuelle, soumis aux aléas des singularités personnelles / se morcelle au rythme de l'individualisme contemporain / sentiment qu'il engendre et ses points d'imputation se diversifient, s'émiettent au gré des initiatives individuelles"

"se présente souvent par la proximité qu'il noue avec la mort / risque de perdre la vie se donne comme le moyen le plus radical et le plus prompt de fabriquer du sacré intime, d'engendrer la métamorphose individuelle"

"Et s'il échappe au danger qu'il a suscité, il est transformé par l'expérience vécue, il éprouve un conscience élargie d'exister et sa relation au monde est portée par une nouvelle exigence. Le côtoiement de la mort est une instance génératrice de sens"

"Épreuve = commencement de ce que perçoit l'acteur comme la "vraie vie" / Réussir une prouesse physique intense, souffrance maladie ou accident ou encore côtoiement mort à travers une prise de risque se chargent d'une épaisseur symbolique qui déborde leur actualisation et retentit sur le rapport au monde de l'acteur"

"A travers l'épreuve, se restaure ou se construit le goût de vivre / Reposant sur une initiative individuelle, il est la propriété d'une action où la vie peut se perdre ou se gagner d'un souffle / Même si les changement individuels se sont estompés, il n'en reste pas moins que le temps de l'épreuve reste une capitale du souvenir, l'un des moments-clés de l'existence et de la constitution du sentiment d'identité"

"Prises de risque ou d'ordalie ou dans l'adversité acceptée et transformée en défi, s'exprime quelque chose comme une liturgie personnelle / transformée hors de l'existence ordinaire / Ce sentiment impalpable, qui tient seulement à l'épaisseur du regard porté sur soi, constitue le gisement personnel du sacré, qui, pour tout autre, ne sera que la parure dérisoire destinée à masquer la peur, la douleur ou même l'insuffisance"=>regard des autres sur soi, permet de se donner confiance, et donc de permettre de réaliser que l'on vient d'effectuer quelque chose de sacré or pour les autres, ce processus n'est qu'un moyen de masquer sa peur, sa souffrance.

"Le sacré est une énergie diffuse, de provenance sociale et individuelle, qui peut vivifier un objet, une durée, une situation, un espace, un individu ou une action / durablement ou provisoirement / sollicité à travers l'épreuve, avec une lucidité plus ou moins aiguë / confère une force intérieure redoublée / L’outre-passement des limites du milieu profane, où l'existence se déroule en toute tranquillité, est une effraction qui ouvre les vannes du sacré mais entraîne le risque d'être englouti au cours de l'épreuve"

"Les rites ont justement pour fonction de canaliser l'échange symbolique entre les deux instances. Sous ces diverses formes, la provocation de la mort témoigne aujourd'hui de la possibilité d'un recours à un sacré intime et diffus, en toute indifférence aux rites sociaux, perçus plutôt comme rites indifférents / conjonction d'une puissante instance anthropologique et d'un modèle social de plus en plus valorisé qui entraîne et oriente d'innombrables quêtes individuelles / Nulle rupture, nulle mutation personnelle ne peuvent être plus fortes pour nos sociétés que celles induites par l'approche de la mort et son esquive in extremis grâce à un effort de volonté ou à une chance transmuée dès lors en destin"

"tout dépend du regard que l'individu porte sur l'évènement / formidable vivier de symbolique / en un temps de crise sociale et culturelle / ramifiée en actions bien différentes, et toujours individuelles, devient une entreprise collective qui n'épargne aucune classe sociale, aucune catégorie d'âge. Elle devient une donnée sociologique significative et est appelée à un avenir prospère"